jeudi 18 décembre 2014

Finalement, je me demande si le vrai mouvement du monde, ce n'est pas le chant.

     À chaque fois, c'est un miracle. Tous ces gens, tous ces soucis, toutes ces haines et tous ces désirs, tous ce désarrois, toute cette année de collège avec ses vulgarités, ses événements mineurs et majeurs, ses profs, ses élèves bigarrés, toute cette vie dans laquelle nous nous traînons, faite de cris et de larmes, de rires, de luttes, de ruptures, d'espoirs déçus et de chances inespérées : tout disparaît soudain quand les choristes se mettent à chanter. Le cours de la vie se noie dans le chant, il y a tout d'un coup une impression de fraternité, de solidarité profonde, d'amour même, e ça dilue la laideur du quotidien dans une communion parfaite. Même les visages des chanteurs sont transfigurés ; je ne vois plu Achille Grand-Fernet (qui a une très belle vois de ténor), ni Déborah Lemeur ni Ségolène Rachet ni Charles Saint-Sauveur. Je vois des êtres humains qui se donnent dans le chant.
     À chaque fois, c'est pareil, j'ai envie de pleurer, j'ai la gorge toute serrée et je fais mon possible pour me maîtriser mais, des fois, c'est à la limite : je peux à peine me retenir de sangloter. Alors quand il y a un canon, je regarde par erre parce que c'est trop d'émotions à la fois : c'est trop beau, trop solidaire, trop merveilleusement communiant. Je ne sus plus moi-même, je suis une part d'un tout sublime auquel les autres appartiennent aussi et je me demande toujours à ce moment-là pourquoi ce n'est pas la règle du quotidien au lieu d'être un moment exceptionnel de chorale.
     Lorsque la chorale s'arrête, tout le monde acclame, le visage illuminé, les choristes rayonnants. C'est tellement beau.

     Finalement, je me demande si le vrai mouvement du monde, ce n'est pas le chant.
 Muriel Barbery dans L'élégance du hérisson


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Depuis un peu plus de deux ans, je chante en choeur, quatre heures par semaine, au lycée.
Alors je n'ai pas résisté à l'envie de partager cette citation.

 D'une part, parce que ce livre est absolument génial. C'est une ode à l'Art, à la vie, aux sentiments, au Beau, à la langue. C'est philosophique. Et c'est un des livres les plus touchant que je n'ai jamais lu. Promis, je vous fait un article dessus dès que j'ai fini de le lire.

D'autre part, parce que je trouve cette citation Belle et Vraie. (Platon ajouterait : Bien.)


Alors après le point de vue de l'auditeur, je vous propose celui du chanteur.


Quand je chante, je ne suis plus moi-même. J'endosse le costume charismatique et si assuré du chanteur, je met un masque vocal qui me protège envers et contre tout, j'adopte la posture de combattant que nécessite le chant. Je ne suis plus une lycéenne trop compliquée. Je me glisse dans la peau d'un esclave, d'un pèlerin, d'un prisonnier, d'un amoureux, d'un musicien.

Quand je chante, toute timidité s'envole alors. Les autres ne me regardent pas et ne m'écoutent pas, il ne peuvent percevoir que le rôle que leur montre et par lequel je m'exprime pleinement. Détachée de cet absurde langue que je n'ai jamais su manier, et de ces relations humaines classiques que je n'ai jamais su gérer, au travers de l'Art, je me libère et devient entière. Et cela affecte ma vie entière et m'aide à me détacher de ma timidité et gagner du terrain sur ce combat quotidien.

Quand je chante, mes soucis s'envolent. Après huit heures de cours, psychologiquement éreintantes, j'évacue toutes les toxines, toute la négativité en moi. Toutes les tensions s'envolent. Je vide mon cerveau, j'épuise mon corps. Je me ressource.

Quand je chante, je ne fais plus qu'un avec ce Tout que sont le choeur surtout mais aussi les musiciens, le chef d'orchestre, le compositeur, le public. Je vibre en harmonie avec des dizaines d'autres corps et âmes, et c'est magique. Je pousse la porte d'un royaume où on n'est jamais seul.



Je crois sincèrement que la musique est l'amie la plus fidèle qui puisse exister. Elle possède ce pouvoir merveilleux de l'expression, de la communication, de l'émotion. D'autant plus le chant, pour son côté humain : nous ne jouons pas d'un instrument mais sommes l'instrument.

Comment être malheureux en chantant ?...



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